jeudi 17 juin 2010

L'éveil du traditionalisme en Allemagne

bracelet4.jpg

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

L'éveil du traditionalisme en Allemagne

Le terme “traditionalisme” n'a pas de définition précise en langue allemande. Il peut s'appliquer au catholicisme pré-conciliaire ou, plus généralement, à des personnes ou à des mouvements qui persistent à défendre le point de vue d'une tradition qui leur a été léguée. Dans les pays de langues romanes, le “traditionalisme” est quelque chose de plus précis: les vocables “traditionnel” ou “traditionalisme” y détiennent un sens particulier, surtout lorsqu'ils se réfèrent au groupe des écrivains ou des philosophes de la religion qui entendent demeurer fidèles au “traditionalisme intégral”, c'est-à-dire à “un héritage non humain”, déterminé par un “absolu d'origine divine”. Ces formules, nous les devons à l'Italien Julius Evola qui, à côté du Français René Guénon, est l'une des principales figures de proue du Traditionalisme.

Depuis quelque temps, des ouvrages importants d'Evola ont été traduits en allemand, comme Revolte gegen die moderne Welt (chez Arun à Engerda), Das Mysterium des Grals (chez AAGW à Sinzheim) et Menschen inmitten der Ruinen (chez Hohenrain à Tübingen). Ces ouvrages abordent principalement la “théologie politique” d'Evola et moins l'autre aspect majeur de sa pensée, les doctrines ésotériques. Toutefois, en 1989 déjà, le livre Hermetische Tradition était paru chez Ansata à Interlaken et, dix ans auparavant, chez le même éditeur, Magie als Wissenschaft vom Ich, un livre qu'Evola avait cosigné avec le “Groupe d'Ur”. Ce recueil important ne nous livrait finalement qu'une esquisse; il vient toutefois d'être complété de son deuxième volume (Schritte zur Initiation, chez Scherz, une maison d'édition très importante, établie simultanément à Berne, Munich et Vienne). Ce nouveau volume compte près de 500 pages et contient, outre des écrits d'ordre hermétique dans une traduction nouvelle, de nombreux articles qui traitent pour l'essentiel de diverses questions de “pratique magnétique”, dans une acception assez inhabituelle du terme.

Si l'œuvre d'Evola se limite encore essentiellement à l'Italie et à la France, si, jusqu'ici, elle n'a soulevé que peu d'intérêt en Allemagne (à l'exception notoire de Hermann Hesse, Gottfried Benn, Edgar J. Jung et Ernst Jünger, plus récemment de Botho Strauss), les études traditionnelles font désormais lentement leur chemin en Allemagne. La preuve: la parution récente d'une nouvelle revue, Gnostika (c/o AAGW, Lothar-von-Kübel-Straße 1, D-76.547 Sinzheim; cette publication paraît quatre fois par an; l'abonnement coûte 40 DM). Le premier numéro est paru à l'automne dernier. Jusqu'ici trois livraisons ont été envoyées aux abonnés. L'éditeur est l'AAGW ou Archiv für Altes und Geheimes Wissen (= Archives pour le Savoir Ancien et Occulte). Cet éditeur offre également une édition bibliophilique du livre d'Evola Mysterium des Grals. Nous avons affaire ici à un organe très différent de toutes ces publications sans relief émanant de la sphère “New Age”: le niveau intellectuel en est très élevé, les auteurs traitent des matières ésotériques avec une grande compétence. Beaucoup de contributions de Gnostika n'éveilleront que l'attention des spécialistes, mais la présentation succincte de l'histoire de l'hermétisme, des travaux de Nicholas Goodrick-Clarke sur les rapports entre Rosicruciens et philosophie des Lumières, de même qu'un essai du Dr. H. Th. Hakl, publié en plusieurs parties, sur le national-socialisme et l'occultisme méritent d'être connus d'un public plus large.

Si en général l'on désigne aujourd'hui le traditionalisme comme un phénomène propre aux pays de langues romanes, il convient, me semble-t-il, de faire quelques exceptions. Surtout si l'on se souvient du poète et penseur religieux Leopold Ziegler. Après avoir connu une gloire beaucoup trop brève dans les années 20, cet Allemand a sombré dans l'oubli. Mais on vient de le réhabiliter. Une revue qui a l'habitude de nous surprendre, Tumult/Schriften zur Verkehrswissenschaft vient de consacrer son n°23 à Ziegler (Verlag Turia und Kant, Weinberggasse 17, A-1190 Wien; cette revue paraît deux fois par an; abonnement: 32 DM; prix au numéro: 26 DM; le n°16 avait été consacré à Ernst Kantorowicz; le n°18 à Georges Dumézil). Le n°23, consacré à Ziegler, présente cinq essais de cet auteur, dont le livre Überlieferung (= Tradition), paru en 1936, a joué un rôle essentiel et constitue très certainement la profession de foi traditionnelle la plus solide en Allemagne. Ziegler se réfère aux conceptions de Guénon, qu'il complète de ses propres réflexions, mûries au départ d'un livre de 1922, Gestaltwandel der Götter. Rappelons la phrase récente de Botho Strauss: “Eh oui, Leopold Ziegler fait bien partie de cette liste d'auteurs qu'il faut absolument redécouvrir”. Cette nécessité ne doit pas valoir pour Ziegler seul, elle doit s'étendre à tous les traditionalistes, qui représentent une branche injustement oubliée de la pensée européenne.

Karlheinz WEISSMANN.

(article paru dans Criticón, n°154/1997; trad. franç.: Robert Steuckers).